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Chad: Boko Haram au Tchad : au-delà de la réponse sécuritaire - Rapport Afrique N°246 | 8 mars 2017

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Source: International Crisis Group
Country: Chad, Nigeria

Depuis 2015, le conflit entre Boko Haram et l’armée tchadienne déstabilise la région du lac Tchad, à l’Ouest du pays. Face à la résilience du mouvement insurrectionnel, le gouvernement doit aller au-delà de l’approche militaire et relancer les échanges économiques, améliorer les services publics, et élaborer des programmes de réinsertion des démobilisés.

Synthèse

Depuis début 2015, les attaques du groupe jihadiste nigérian Boko Haram ont tué plusieurs centaines de personnes au Tchad, en ont déplacé plus de 100 000 et ont fortement affecté l’économie régionale du bassin du lac Tchad. La violence a culminé en 2015, avec des attentats-suicides dans la capitale et la région du Lac, et a décliné depuis. L’engagement militaire du pays et son rôle dans la lutte contre le terrorisme – autour du lac Tchad et ailleurs dans la région – ont apporté des gains diplomatiques significatifs, comme la toute récente nomination du ministre des Affaires étrangères Moussa Faki à la présidence de la Commission de l’Union africaine. Mais le risque sécuritaire n’a pas disparu. Pour faire face à cette menace continue tout en répondant aux besoins de la population, les autorités tchadiennes doivent s’appuyer sur le relatif succès de la coopération sécuritaire régionale, mais aussi commencer à inclure une plus grande composante civile dans leur approche, jusqu’à présent fortement militarisée, élaborer un programme de développement économique plus cohérent et mieux prendre en charge les anciens membres de Boko Haram.

L’impact de Boko Haram dans le pays s’est surtout fait sentir aux alentours du lac Tchad, dont une partie importante se trouve en territoire tchadien. Les activités agricoles, d’élevage et de pêche rendent prospère l’économie de la région, et attirent des migrants de toute la zone du Sahel, ce qui crée des tensions pour le contrôle des ressources. Boko Haram a su tirer profit de la géographie du lac, en particulier de son labyrinthe d’îles, pour y trouver refuge. L’influence culturelle et religieuse de l’état nigérian du Borno, d’où le groupe jihadiste est originaire, a facilité sa pénétration et il a pu mobiliser en manipulant des tensions communautaires qui agitent la région depuis de nombreuses années.

La présence de Boko Haram du côté tchadien du lac a tout d’abord été limitée. Mais la violence s’est rapidement intensifiée en 2015, en partie en réaction à l’intervention des forces tchadiennes dans les Etats voisins. Deux attentats-suicides dans la capitale N’Djamena et de nombreuses attaques contre des villages et des postes militaires ont suivi. La violence, qui n’a jamais atteint les niveaux enregistrés au Nigéria, au Cameroun et au Niger, a diminué début 2016. Cela s’est accompagné d’une vague de redditions de membres de Boko Haram dans la seconde moitié de l’année, mais qui n’a apparemment concerné que peu, voire aucun, des membres du noyau dur. Les attaques ont cependant continué tout au long de 2016, démontrant la résilience et l’adaptabilité du groupe jihadiste.

La violence déclenchée par Boko Haram avait déjà fait, début 2017, plus de 100 000 déplacés internes et 7 000 réfugiés sur le sol tchadien. En 2015, cette situation a intensifié d’anciens antagonismes entre communautés et rendu plus difficile la gestion des conflits au niveau communautaire. Plusieurs chefs traditionnels ont été pris entre deux feux. Certains ont été mis sous pression par les autorités nationales, d’autres ont été accusés de complicité ou ont été victimes d’attaque ciblées de Boko Haram et l’un d’entre eux a même été assassiné. Par ailleurs, la stigmatisation de certains membres de l’ethnie buduma, accusés d’être en collusion avec le groupe jihadiste, a été forte mais a diminué depuis que les violences ont décliné.

La réponse des autorités tchadiennes a avant tout été militaire, tant autour du lac qu’à travers des interventions dans les pays voisins. Un état d’urgence a été imposé en novembre 2015 et renouvelé plusieurs fois depuis, et l’administration a été en partie militarisée. De nombreux membres présumés de Boko Haram qui avaient été faits prisonniers sur le sol tchadien ont été emprisonnés pendant de longues périodes en l’absence de procès. Des comités d’autodéfense ont été créés et ont joué un rôle important dans la lutte contre le groupe jihadiste. Mais la réponse résolument sécuritaire a eu un coût, notamment en restreignant la liberté de mouvement d’une population traditionnellement très mobile et fortement dépendante du commerce transfrontalier.

Alors que la première phase de la nouvelle offensive militaire des armées de la région (l’opération Rawan Kada) vient d’être lancée, les risques d’infiltration et de recrudescence des attaques sur le territoire tchadien sont réels. Un attentat ou une attaque de grande envergure pourraient agir comme un déclencheur et générer, comme en 2015, des phénomènes de stigmatisation, notamment à l’encontre de la population buduma. Jusqu’ici, les autorités tchadiennes n’ont réussi ni à définir les contours d’un véritable projet pour le lac, ni à accroitre le périmètre d’actions civiles de l’Etat dans la zone. Une nouvelle stratégie de développement qui prenne en compte les besoins de la population du lac Tchad, au-delà de la lutte contre Boko Haram, doit être mise en œuvre.

La diminution de la menace que représente Boko Haram est étroitement liée aux politiques menées par les pays voisins, en premier lieu le Nigéria. Au Tchad, et en particulier dans la région du Lac, un certain nombre de mesures peuvent cependant être adoptées pour l’endiguer :

Les autorités tchadiennes sont mal équipées pour la prise en charge des membres présumés de Boko Haram qui se sont rendus ou ont été capturés. Un processus d’identification doit être initié pour distinguer les véritables membres de ceux qui sont restés en marge du groupe ou n’y ont pas du tout été associés. Ces derniers devront être libérés et être intégrés dans de larges projets de développement communautaires s’adressant aux jeunes. Comme récemment le ministère de l’Intérieur du Niger voisin, les autorités tchadiennes devraient mettre au point un document-cadre qui définisse les conditions de prise en charge des personnes qui se sont rendues et le communiquer à leurs partenaires internationaux.

Afin d’encourager les redditions, de contrer les messages radicaux violents, d’améliorer la communication des autorités et de permettre à la population locale d’exprimer ses préoccupations, les radios communautaires devraient être soutenues et développées. La plupart opèreront avant tout au niveau local, mais il serait utile d’envisager le développement de radios communautaires capables de couvrir toute la région du Lac afin de refléter pleinement la diversité et le degré d’intégration des populations. De telles radios, qui pourraient s’appuyer sur les initiatives existantes dans les pays voisins, devront diffuser leurs programmes dans un large éventail de langues locales et nationales, et inclure des messages de sensibilisation sur la prévention des conflits, des appels à se rendre adressés aux membres de Boko Haram et d’autres informations qui intéressent directement les habitants du lac telles que les prix du bétail.

Afin de contrebalancer cette approche sécuritaire dans la région du Lac et de répondre aux besoins d’une population affectée par la violence et les déplacements, notamment par le biais de meilleures stratégies de développement à plus long terme :

  • L’approche militaire doit être progressivement revue pour inclure une plus grande dimension civile et éviter une militarisation de la région sur le long terme, en associant davantage les autorités civiles locales aux décisions stratégiques et en développant une meilleure couverture administrative pour réactiver les services sociaux et s’assurer que les besoins de la population sont bien pris en compte. Afin d’encourager les fonctionnaires à travailler dans la région, un système temporaire de primes pourrait être envisagé. D’autres mesures de soutien aux initiatives communautaires en faveur de la cohésion sociale devraient être prises.

  • Les autorités tchadiennes devraient proposer des options politiques claires sur le devenir du lac. Elles devraient soumettre un plan de développement à moyen et long termes pour la région du Lac, en collaboration avec les bailleurs de fonds et en consultation avec la population locale. Ce programme devrait tenir compte des besoins d’une population particulièrement mobile.

  • Le risque de polarisation financière sur le lac au détriment d’autres régions ne doit pas être négligé. Le Tchad est un pays très pauvre aux multiples situations de précarité. Il convient donc de rééquilibrer le portefeuille de projets pour ne pas délaisser d’autres régions négligées.

  • Les efforts bienvenus des bailleurs visant à lancer de nouveaux projets de développement dans la région doivent tenir compte des risques liés à l’injection d’importantes sommes d’argent pour ne pas renforcer certains facteurs de crise. Dans un premier temps, les agences de développement devraient financer une large étude socio-anthropologique afin de comprendre les logiques de mobilité de la population, la structure des ménages et d’examiner les modes possibles de participation des communautés locales aux programmes de développement.

  • Les autorités tchadiennes devraient substituer aux politiques actuelles qui entravent les activités économiques autour du lac une politique d’encadrement, de protection et de relance de l’économie régionale. La réouverture d’un canal commercial sécurisé entre le Tchad et le Nigéria faciliterait les échanges entre les deux rives du lac et améliorerait ainsi les conditions de vie de la population.

Nairobi/Bruxelles, 8 mars 2017


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