Résumé analytique et recommandations
La République démocratique du Congo n’est pas un État failli, du moins pas pour tout le monde. C’est un échec pour la grande majorité des Congolais qui souff rent du délabrement des services de sécurité, de santé et d’éducation. À l’inverse, pour les élites dirigeantes et leurs partenaires commerciaux, qui cherchent à extraire ou trafi quer les ressources de manière illicite au détriment du développement du pays, le Congo est un État effi cace.
Depuis 130 ans, le pays présente de nombreux indices de kleptocratie violente, un système de captation de l’État au sein duquel des réseaux de dirigeants politiques et leurs partenaires commerciaux détournent les institutions gouvernementales et maintiennent l’impunité aux fi ns d’extraction des ressources et de sécurisation du régime. Ces réseaux utilisent diff érents niveaux de violence pour conserver le pouvoir et réprimer les voix dissidentes. Ce système compte sur les eff orts du régime actuel visant à miner toute transition démocratique. Le président Joseph Kabila et ses collaborateurs profi tent d’une corruption prégnante et s’eff orcent par tous les moyens de se maintenir au pouvoir. Duoi Léopold II, il y a plus d’un siècle, à Kabila aujourd’hui, les dirigeants congolais ont détourné des milliards de dollars revenant à l’État et au peuple congolais en ayant parfois recours à des actes d’une grande violence pour un objectif clair : conserver la mainmise sur l’État et ses immenses ressources naturelles.
Au cours du mandat de Kabila, jusqu’à 4 milliards de dollars par an se sont volatilisés ou ont été volés du fait de manipulations des contrats miniers, des budgets et des actifs de l’État2, suivant en cela les exemples du roi Léopold, des autorités coloniales belges, de Mobutu Sese Seko et du père de Joseph Kabila, son prédécesseur à la présidence avant son assassinat. Ces régimes se sont alliés à des acteurs commerciaux pour dépouiller le peuple congolais de ressources naturelles précieuses qui lui revenaient de droit. Les partenaires internationaux de ces élites politiques en ont aussi largement profi té, certains d’entre eux par le versement d’importants pots-de-vin. Ainsi, dans un récent accord sur le plaidoyer du département de la Justice des États-Unis, le hedge fund américain Och-Ziff a affi rmé que certains de ses partenaires commerciaux, parmi lesquels l’homme d’aff aires israélien Dan Gertler, selon des sources proches du dossier, avaient versé plus de 100 millions de dollars de pots-de-vin à des fonctionnaires congolais en échange de l’obtention de concessions minières d’une valeur de plusieurs milliards de dollars à des prix très bas.
Ces régimes ont recours à la violence de manière systématique. D’après certaines estimations, 5,4 millions de personnes auraient péri et des centaines de milliers d’autres auraient été victimes de violences sexuelles lors des confl its survenus sous les présidences de Joseph Kabila et de son père, Laurent-Désiré Kabila4, les États voisins, en particulier le Rwanda et l’Ouganda, ayant pris une part active aux meurtres et pillages perpétrés sur le territoire congolais. À cela s’ajoutent la violence structurelle et la répression.
Fondée sur des recherches historiques et de terrain, cette étude soutient que le président Kabila et ses proches collaborateurs s’appuient dans une large mesure sur le vol, la violence et l’impunité pour rester au pouvoir, au détriment du développement du pays. Depuis le règne du roi Léopold, les hauts fonctionnaires congolais et leurs associés ont créé sept « piliers » qui sous-tendent cette kleptocratie violente:
Laisser les forces de sécurité prendre leur part du butin. Mobutu disait: « Vous avez des armes, vous n’avez pas besoin de salaire »6. Afi n ne pas être renversé par la force, le régime autorise les hauts gradés de l’armée à s’enrichir par l’exploitation des ressources et des citoyens, alimentant ainsi les cycles de confl it.
Rester au pouvoir ou prendre le risque de tout perdre. Si elles quittent le pouvoir, les élites associées au régime courent le risque de perdre leurs biens mal acquis et l’immunité qui les place à l’abri de poursuites judiciaires. Les mouvements prodémocratiques sont dès lors réprimés, souvent par la violence, car ils représentent une menace pour le système corrompu.
S’assurer que les élites associées au régime aient peu, voire pas, de comptes à rendre. L’impunité est le ciment qui assure la cohésion du système. Les institutions judiciaires ciblent les opposants au régime ou les personnalités peu infl uentes, et non les auteurs de délits graves en matière de corruption ou de violations des droits de l’homme.
Créer des structures étatiques parallèles et coopter les groupes rebelles pour atténuer les menaces politiques. Des chaînes de commandement parallèles sont mises en place pour garantir la loyauté au régime ; les rebelles sont acceptés au sein de l’armée sans fi ltrage ni réelle intégration. L’armée, pléthorique, commet alors des exactions et collabore avec les groupes armés.
Veiller à ce que les hauts fonctionnaires tirent parti de la corruption. Lorsqu’il est nommé à un poste militaire ou gouvernemental, tout fonctionnaire s’attend à percevoir des pots-devin. Ce système, appelé « rapportage », s’est traduit par une pression fi scale réelle de près de 55 % sur les citoyens congolais7.
Tirer un avantage personnel de l’exploitation des ressources naturelles, sous-utiliser les services et détourner les réformes. Le régime reçoit des pots-de-vin de certains étrangers pour la vente de ressources à des prix très bas. Ces derniers les revendent ensuite précipitamment8 afi n de réaliser des profi ts élevés, privant ainsi l’État congolais de recettes importantes9. Des réformes en faveur de la transparence, telles que l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), peuvent être utiles, mais les principaux vecteurs de corruption – les entreprises publiques et les sociétés-écrans étrangères associées – demeurent opaques. Le gouvernement sous-utilise délibérément les services publics pour mieux mettre l’accent sur le clientélisme.
Semer la confusion en créant de l’incertitude au niveau des politiques afi n d’accroître la